Sur les chantiers, la chaleur tue dans l’indifférence
Par Juliette Gache, Léontine Gallois, Amandine Hess, Lucie Remer
Fact-checking et traduction par Aude Dejaifve, Jared Paolino
David Azevedo voulait commencer une nouvelle vie. Après deux ans de recherche d’emploi, ce maçon de 50 ans était enfin parvenu à décrocher un contrat d’ouvrier intérimaire sur un chantier du groupe Eiffage, sur le site Michelin de la Combaude, à Clermont-Ferrand. Dans un premier temps, il logerait chez sa petite sœur, Anne-Marie, dont il était très proche, le temps d’avoir assez d’argent pour s’installer seul. L’été venait à peine de commencer mais déjà les températures battaient des records.
Le soir de son premier jour de travail, le lundi 11 juillet 2022, David raconte à Anne-Marie les heures harassantes passées à couler une grande dalle de béton en plein cagnard.
Le lendemain, il se couche à 19 heures, le corps terrassé par l’effort et la chaleur emmagasinée toute la journée.
Le troisième jour, David meurt d’un arrêt cardiaque « dans un contexte d’hyperthermie sévère » selon son certificat de décès. On parle aussi de coup de chaleur. Ce jour-là, la température a atteint les 34°C.
La société de construction Eiffage ne reconnaît pas la mort de David comme un accident du travail. L’Assurance Maladie a pourtant indemnisé sa famille et ainsi reconnu l’accident du travail.
Sa sœur Anne-Marie a déposé plainte contre X le 3 mars 2023 pour homicide involontaire. Elle se bat pour que la responsabilité de l’employeur dans la mort de son frère soit reconnue.
« Je me bats pour mon frère, pour que ça n’arrive plus jamais à personne », s’indigne-t-elle la voix nouée par les larmes.
L’histoire de David, c’est celle, trop commune, d’hommes et de femmes que le travail expose en première ligne aux conséquences du réchauffement climatique et de l’augmentation des températures. Le sort de ces travailleurs soumis à la contrainte de l’organisation du travail et des lois qui encadrent leur activité doivent alerter sur les dangers d’un manque d’adaptation des mesures de sécurité au travail face au réchauffement climatique.
Alors que la France vient de connaître son année la plus chaude jamais enregistrée, les familles de victimes, les syndicats et les chercheurs déplorent l’inertie des entreprises et de l’Etat pour protéger les travailleurs des risques liés à la chaleur. Les projections scientifiques ne laissent aucun doute sur l’aggravation de la situation climatique et l’augmentation des températures dans les prochaines années.
Malaise sur le chantier

Mercredi 13 juillet 2022, le thermomètre frôle les 35°C. David part travailler aux aurores pour son troisième jour.
À midi, sa sœur Anne-Marie reçoit un appel d’un numéro inconnu. David se sent mal. Elle doit venir le récupérer en urgence.
Quand elle arrive sur le chantier dix minutes plus tard, son frère est allongé par terre à l’ombre d’un petit arbre. Il convulse et bave. Il est brûlant et incapable de lui répondre.
Anne-Marie panique. « Ils sont inhumains, vous vous rendez compte de ce que vous faites, faire travailler les gens sous cette chaleur, mais vous êtes fous ! », crie-t-elle à un collègue de son frère qui se trouve sur place. Les secours ne sont pas encore arrivés.
Pour faire baisser sa température, Anne-Marie retire à David ses chaussures de sécurité et ses chaussettes. Mais rien n’y fait.
Lorsqu’il fait très chaud, le sang se réchauffe sous l’effet du rayonnement solaire et de l’activité du corps. Pour maintenir le corps à 37°C, le cerveau stimule la circulation du sang proche de la peau, où la chaleur peut être dissipée. Le corps transpire. Mais la quantité de chaleur que le corps peut évacuer par la sueur est limitée. Les vaisseaux sanguins se dilatent, essayant de faire remonter la plus grande quantité de sang chaud vers la surface. Si on ne trouve pas un endroit pour se rafraîchir, la température interne du corps augmente rapidement.
Si en plus les muscles travaillent, la température augmente plus rapidement encore. Le cœur bat de plus en plus vite, essayant d’acheminer autant de sang que possible vers la peau pour la rafraîchir. Comme le sang est détourné, les organes internes – le foie, les reins, le cerveau – sont en manque de sang et du précieux oxygène qu’il transporte. L’augmentation de la température du corps et la chute de la pression artérielle dans le cerveau entraînent un risque d’évanouissement.
À ce stade, il est nécessaire d’être rapidement immergé dans de l’eau fraîche, pour se rétablir sans trop de séquelles.
David est évanoui. Une fois les pompiers arrivés, ils pratiquent un premier massage cardiaque pour le réanimer. Son état se dégrade rapidement. Ils doivent appeler le SAMU pour le transporter en urgence au service de réanimation à l’hôpital de Clermont-Ferrand.
Désert juridique
En France, aucune température maximale de travail n’est fixée par la loi. Les employeurs sont libres de mobiliser leurs salariés quelle que soit la température. Seule contrainte imposée par le code du travail : garantir la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ces derniers.
« L’employeur est tenu de mettre en place une organisation et des moyens adaptés aux situations d’expositions aux épisodes de fortes chaleur », précise le ministère du Travail.
Les travailleurs du bâtiment comme David bénéficient de mesures spécifiques. Au premier chef desquelles la mise à disposition d’un minimum de trois litres d’eau par jour et par personne. Une mesure loin d’être suffisante pour les ouvriers. Anne-Marie raconte qu’elle a cherché en vain une bouteille d’eau sur le site du chantier pour tenter d’hydrater son frère.
À cela s’ajoute l’aménagement d’un local et d’espaces sur le site pour protéger les travailleurs de la chaleur, ainsi que la distribution d’équipements de protection compatibles avec les fortes températures.
« David me disait qu’ils avaient un petit endroit sur place où ils pouvaient manger le midi… mais je n’y suis jamais allée », confie Anne-Marie.
Selon les recommandations du plan canicule, les employeurs doivent, si possible, prendre « des mesures organisationnelles adéquates pour que les travaux se fassent sans exposer les salariés. » L’aménagement des horaires de travail en fait partie. Le mercredi 13 juillet 2022, David quitte le domicile de sa sœur à 5h50. Ce jour-là, non seulement il commence plus tôt, mais il aurait dû également finir plus tard que d’habitude, pour faire des heures supplémentaires.
Ces mesures sont soumises au contrôle de l’inspection du travail. Mais les moyens de celle-ci sont restreints. « Le code du travail ne prévoit pas de mesures très précises concernant la prise en charge de ce risque », constate Julie Court, représentante du personnel à la CGT inspection du travail. « Des circulaires se multiplient chaque année pour alerter de la situation caniculaire et encourager à faire des contrôles, mais la réglementation reste limitée. »
La loi se cantonne à renvoyer l’employeur au document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Obligatoire pour toute entreprise, il liste les risques pour la santé et la sécurité auxquels peuvent être exposés les salariés, mais aussi des propositions de prévention. Malgré l’élévation des températures, le facteur chaleur reste rarement pris en compte. « Les seules dispositions précises du code du travail concernent la mise à disposition d’eau fraîche et potable, et l’obligation de prévoir un local de repos adapté avec des pauses. C’est tout », précise Julie Court.
Une enquête menée fin 2022 par la commission travail et emploi du Conseil économique social et environnemental (CESE) révèle que 70% des salariés du privé et du public, mais aussi 50% des employeurs, sont favorables à un renforcement des obligations légales pour mieux répondre aux risques environnementaux.
Une solution entre les mains du patronat
Dans le cas présent, si une infraction est constatée, il reste difficile pour les inspecteurs de poursuivre pénalement l’employeur ou son entreprise. En cause, des chaînes de responsabilité longues qui compliquent les enquêtes et rendent diffuse la responsabilité. Les employeurs ne sont pas directement responsables des accidents qui surviennent sur les chantiers. La responsabilité peut être déléguée aux chefs de chantier ou conducteurs de travaux, qui ne disposent pas toujours des compétences nécessaires. Un mode de fonctionnement qui peut cacher des manquements structurels. À cela s’ajoute une autre forme de délégation passant par le recours à la sous traitance ou aux intérimaires.
Dans l’exercice de sa mission, l’inspection du travail fait face à une autre difficulté : le manque de personnel. Depuis plusieurs années, la profession connaît d’importants problèmes de recrutement. En 2021, la direction générale du Travail (DGT) recensait 260 sections vacantes, soit 12,57% du total des postes d’inspecteurs nécessaires. On comptait alors 2 000 agents sur le territoire français, responsables chacun de 80 000 salariés.
Assis derrière son bureau, Giovanni Verrecchia hoche la tête. Sa moustache épaisse et ses lunettes dissimulent un visage soucieux. Cela fait plus de vingt ans que ce représentant syndical de la branche construction-bois de la CFDT se bat pour faire reconnaître le risque chaleur sur les chantiers. Selon lui, mettre les ouvriers au travail un jour de fortes chaleurs ne devrait pas être possible. « Il y a neuf principes généraux de prévention dans le code du travail, explique-t-il. Le premier c’est d’éviter le risque. » Pour cela, Giovanni souhaite élargir la caisse d’indemnité intempéries aux cas de fortes chaleurs.
Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), les employeurs ont la possibilité d’arrêter un chantier en raison des intempéries. Pour cela, ils cotisent auprès d’une caisse chômage-intempérie qui indemnise les salariés arrêtés. Cette indemnité s’élève à 75% de leurs salaires. Problème, les fortes chaleurs et canicules ne sont pas considérées comme des intempéries par le code du travail, contrairement au gel, à la neige, au verglas et à la pluie. « La canicule ne figure pas au nombre des circonstances retenues comme intempéries mais elle peut, en pratique, rendre l’accomplissement du travail effectivement dangereux ou impossible eu égard à la santé ou à la sécurité des travailleurs. À cet égard, la décision de l’arrêt incombe à l’entreprise ou à son représentant sur le chantier », précise Pascal Benfella, directeur de la Caisse Nationale des Coopératives, interrogé à ce sujet.
Si l’employeur décide d’arrêter le chantier et qu’une alerte canicule est déclenchée par le préfet, alors les demandes d’indemnités peuvent être acceptées au cas par cas par une commission nationale.
« Notre rêve c’est de faire de cette caisse un organisme paritaire, géré à la fois par les employeurs et les salariés. L’idée serait d’utiliser les sommes non dépensées en hiver lors des périodes de fortes chaleurs », complète Giovanni Verrecchia. Une idée qui fait difficilement son chemin auprès du patronat.
« La face émergée de l’iceberg »
David arrive à l’hôpital et subit une batterie d’examens. Anne-Marie se souvient du médecin qui lui a annoncé que son frère était arrivé avec une température corporelle de 43°C. Les pompiers et les médecins ont du mal à le refroidir et le placent sous coma artificiel. Son état est critique.
Quelques heures plus tard, David fait un second arrêt cardiaque. « Le médecin nous dit qu’il est temps de lui dire au revoir, que son cœur est en train de lâcher et qu’ils ne peuvent plus rien faire », raconte Anne-Marie, la voix cassée par les sanglots.
À minuit vingt, la mort de David est déclarée.
Sur le rapport des urgences que les journalistes du consortium ont pu consulter, le médecin a écrit : « arrêt cardio-respiratoire sur hyperthermie. » Son certificat de décès, également consulté, énonce un « arrêt cardiaque dans un contexte d’hyperthermie sévère. » Le coup de chaleur est établi, mais les conséquences de la chaleur sur les accidents ne sont pas toujours relevées.
A l’été 2022, Santé Publique France a recensé sept accidents du travail mortels en lien possible avec la chaleur, dont trois concernent le secteur de la construction.
« On sait que ça, c’est la face émergée de l’iceberg », explique Guillaume Boulanger, responsable de l’Unité qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations à Santé Publique France. Dans de nombreux cas, le lien entre l’exposition à la chaleur et le décès est difficile à établir. « On peut avoir une décompensation d’une maladie cardiovasculaire ou d’une maladie rénale liée à une exposition intense [à la chaleur] sur le lieu de travail mais la personne décèdera le lendemain ou dans les 3 jours suivants ou jusque dans les 10 jours », ajoute-t-il.
Dans son rapport sur les effets du risque climatique sur la santé des travailleurs, publié en 2018, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) met en exergue la hausse des températures comme l’un des principaux facteurs à l’origine de l’augmentation des risques professionnels.
Ces risques sur la santé des travailleurs ne se limitent pas au coup de chaleur. L’ANSES alerte que la hausse des températures peut exacerber les baisses de la vigilance, pouvant mener à des accidents du travail plus récurrents : chutes en hauteur, effondrements et chutes d’objet, accidents de la route, risques liés à la manutention mécanique…
Président du Conseil national des professionnels de la santé au travail jusqu’à début 2023, le Docteur Gérard Lucas reconnaît que les professionnels de santé sont confrontés à la difficile identification des signes précurseurs d’un malaise causé par la chaleur chez les travailleurs. « C’est assez difficile de trouver les signes qui permettent de dire ‘Là il va vraiment trop loin’. » Se référer à la température corporelle ne serait, selon lui, pas suffisant car la résistance à la chaleur dépend de multiples facteurs tels que l’hydratation, l’aération, ou l’habillement.
« La résistance à la chaleur varie extrêmement d’un individu à l’autre et d’une période à l’autre chez un même individu », explique-t-il. Il déplore l’absence d’études qui permettrait d’établir des seuils objectifs de résistance à la chaleur.
Le médecin du travail à la retraite regrette également plusieurs évolutions récentes de la médecine du travail. Depuis la loi El Khomri en janvier 2017, les visites médicales obligatoires se font tous les cinq ans, et non plus tous les deux ans. La présence des médecins du travail est également devenue facultative dans les comités sociaux et économiques, des instances représentatives du personnel.
La suppression d’instances de représentation spécialisées dans la santé et les conditions de travail a impacté la capacité des médecins du travail à suivre de près les employés et leurs conditions de travail. Avec à terme, le risque de devenir « des médecins pour les employeurs, et pas des médecins pour les salariés ».
Avant 2017, « on pouvait attaquer l’entreprise en justice, on avait un rôle vraiment puissant. Aujourd’hui, plus rien », constate Giovanni Verrecchia, secrétaire général du syndicat CFDT construction et bois.
Eiffage nie sa responsabilité
Endeuillée, la famille Azevedo est déterminée à connaître les tenants et aboutissants de la mort de David. Pour Anne-Marie, la situation est limpide, son frère est mort d’un accident du travail. Eiffage dément.
Une semaine après l’accident, l’entreprise réfute déjà tout lien entre l’accident de David et son activité professionnelle. Dans le formulaire de déclaration de l’accident, que les entreprises sont tenues de remplir, le préventeur du groupe Eiffage, c’est-à-dire la personne chargée de la prévention des accidents dans l’entreprise, écrit : « Nous émettons les plus vives réserves sur cet accident ».
Plus tard, dans un mail adressé à l’agence d’intérim qui emploie David, l’entreprise dément à nouveau tout rapport avec les conditions de travail.
« Il n’existe aucun événement accidentel survenu au temps et au lieu du travail mais simplement la manifestation d’une problématique de santé totalement indépendante du travail », assène le préventeur d’Eiffage.
Comme après toute déclaration d’accident par une entreprise, l’Assurance Maladie déclenche son enquête administrative mi-août pour déterminer si l’accident relève ou non du risque professionnel. Anne-Marie est interrogée par l’enquêtrice, ainsi que le chef de chantier et le directeur de l’agence d’intérim qui emploie David.
Après l’enquête, l’Assurance Maladie l’atteste finalement : c’est bien un accident du travail. La branche « risques professionnels » prend en charge financièrement l’accident.
Contacté par nos soins, le groupe Eiffage reste campé sur ses positions et nie à nouveau la responsabilité de l’entreprise malgré les conclusions de l’Assurance Maladie.
« Son décès ne relèverait pas d’un accident du travail », écrit le service de communication du groupe dans un mail adressé au consortium.
Mais il serait lié à « une problématique de santé indépendante du travail », selon des informations que le groupe aurait obtenues par « les services médicaux compétents ayant pris en charge Monsieur Azevedo ».
Eiffage refuse de donner davantage d’informations pour attester ces propos.
« Toutes les mesures de prévention nécessaires avaient été mises en place, notamment celles destinées à prévenir tout risque lié à des chaleurs excessives », ajoute l’entreprise.
En 2019, l’Assurance Maladie a dénombré 733 accidents au travail, sans compter ceux des secteurs agricole et public. Le bâtiment et les travaux publics comptent pour un tiers de ces accidents. Et ces chiffres sont largement sous-évalués. Comme le montre un rapport de la commission sur la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, les professionnels de santé n’établissent pas le lien avec l’activité professionnelle si celui-ci n’est pas évident. Le rapport pointe également le manque d’information des victimes.
Certains partenaires sociaux dénoncent dans ce rapport des comportements des entreprises « de dissimulation des accidents du travail et des maladies professionnelles, voire des phénomènes de pression sur certaines victimes afin qu’elles ne déclarent pas leur pathologie ».
Et le cas de David Azevedo ne fait pas exception. Eiffage continue de nier le lien entre sa mort et ses conditions de travail. Dans un second courrier adressé à l’agence d’intérim qui employait David, Eiffage écrit « qu’il convient de confirmer la cause naturelle du décès et donc son caractère totalement étranger au travail ».
Car un accident du travail, notamment grave ou mortel, peut coûter cher à une entreprise. En 2021, un décès coûte entre 450 000 et 750 000 euros selon le secteur d’activité.
Dans les situations de fortes chaleurs, « tout n’est pas relevé dans le sens où le salarié a peut-être fait son malaise chez lui après un jour, deux jours, le dimanche soir, sans avoir pensé que toute la semaine il avait bossé à 40°C », affirme David Raguenes, délégué syndical CFDT travaux publics.
La chaleur, un risque négligé
Cette sous-évaluation du nombre de victimes et le manque de données générales sur les conséquences des fortes températures au travail ne permettent pas d’appréhender le phénomène et de mettre en place des politiques publiques adaptées, ou de revoir le code du travail à ce sujet.
Le manque de données concerne aussi la manière dont on lie les accidents du travail à la chaleur. Lors de son enquête, l’Assurance Maladie met rarement en valeur le rôle des températures dans la causalité de l’accident. Le dossier rédigé par l’enquêtrice en charge de l’accident de David ne mentionne jamais les températures de ce jour-là, seule Anne-Marie évoque le sujet.
Contactée par nos soins, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Loire fait savoir que le rapport d’enquête « ne fait pas mention du paramètre de température, car ce n’est pas une information qui est recherchée lors de l’enquête administrative ouverte pour un AT [ndlr : Accident du Travail] mortel. En effet, il s’agissait ici de confirmer que l’accident avait bien eu lieu sous la subordination de l’employeur, au temps et au lieu du travail, quelle qu’en soit la cause ».
« Si un salarié tombe de la toiture, on va se demander s’il est tombé de la hauteur ou à cause de la canicule, il est évident qu’on retient plus souvent la cause de la chute plutôt que la chaleur. C’est la même chose sur les crises cardiaques : quand les ouvriers partent de leur travail, on ne présuppose pas la chaleur. C’est un problème dans l’analyse des risques », affirme Anthony Smith, inspecteur du travail et représentant syndical à la direction générale du travail.
« Si les CARSAT [ndlr : Caisse d’Assurance Retraite et de Santé Au Travail] n’interviennent pas là, c’est d’un point de vue très politique, c’est à dire que les caisses d’assurance retraite au niveau régional obéissent à la direction nationale donc si on leur dit de regarder, ils regarderont, mais si on ne leur dit pas ils ne regarderont pas », analyse Laurent Madec, en charge d’un rapport sur la gestion des épisodes de canicule extrême dans le milieu professionnel pour le Haut Conseil de la Santé Publique.
Les chercheurs Cora Roelofs et David Wegman qualifient les travailleurs comme David de « canaris du climat. » Tels les canaris dans les mines qui préviennent du danger avant de mourir, leurs histoires doivent nous alerter sur les risques encourus en l’absence de réponse politique adaptée face aux conséquences du réchauffement climatique.
Les rapports d’experts ne manquent pas, les cas non plus. Mais les données institutionnelles peu nombreuses peinent à déclencher une prise de conscience et une action politique.
« Ce qu’on aimerait, c’est éviter que ça arrive à d’autres personnes », conclut Anne-Marie Azevedo.